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De « L’arbre aux fièvres » à la quinine puis à la chloroquine, Par Gilles Ragache.
Gilles Ragache, installé sur le plateau du Neubourg, est auteur, historien et directeur de collections.

« _Comme l’Atlantide, l’enfance est un continent englouti. En apparence il n’en subsiste rien. En apparence seulement, car si par inadvertance le regard se pose sur certains objets, les souvenirs reviennent en force. Des sensations oubliées remontent à la surface par bouffées successives _» ai-je écrit il y a quelques années dans «_ L’œil vert de la radio – Nos années 50 »1. J’y ai convoqué nombre de souvenirs qui sont aussi ceux d’une génération élevée dans le monde précaire de l’après-guerre. Dans un chapitre consacré aux boissons familiales j’ai évoqué le goût de réglisse du Coco Boer avec lequel on aromatisait l’eau de la cantine servie dans des verres Duralex_. Je conserve aussi en mémoire le vin rouge (11°) coupé d’eau que l’on buvait à table en nous appuyant sur les recommandations de l’incontournable Pasteur, ce grand pourfendeur de microbes, qui aurait affirmé que « _le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons _». Nous vivions cela dans une certaine insouciance teintée d’optimisme mais, en ces temps troublés par l’irruption du coronavirus, il m’est revenu en mémoire une autre épidémie aujourd’hui oubliée, « la grippe asiatique », qui s’est abattue sur la France en 1957. Ressurgit alors le souvenir d’une boisson très répandue à l’époque dans bien des familles : le _Quinquina _et son dérivé, l_a Quintonine._
En effet, j’avais une dizaine d’années lors de l’hiver 1957 quand, à l’occasion de cette violente grippe, toute la famille s’est retrouvée un soir grelottant de fièvre autour d’un bol de soupe et d’un « vin chaud ». Ma mère y versait à doses généreuses de la Quintonine pour nous « requinquer ». Celle-ci était présentée comme un remontant, un remède anti-fatigue : « Flagada ? Prenez de la Quintonine ! » affirmait-on à la Radio où des messages publicitaires musicaux étaient diffusés en boucle. Sur l’air entraînant de « La cucaracha » on pouvait entendre « _La Quintonine donne bonne mine ! _» et apprendre que ce remède miracle permettait d’élever des enfants « _taillés dans le roc ! _». Rien de moins… Alors pourquoi en douter même si comme bien des Français nous étions un peu sceptiques ?
Dans la rue, sur de grandes affiches bariolées, on nous proposait aussi du Quinquina à déguster sous toutes ses formes, en particulier en apéritifs tous bons pour la santé (Saint-Raphaël, Picon, Byrrh, Dubo-Dubon-Dubonnet…). Ce qui de nos jours peut sembler incongru…. Agréables et faciles à consommer, ils étaient instamment recommandés aux hommes, aux mères de famille et même aux enfants. Quant aux militaires on leur affirmait que c’était un moyen efficace de lutter contre « les fièvres ». Alors bien des Français ne demandaient qu’à croire, même s’ils n’étaient pas complètement dupes, que « _Le Quinquina ouvre l’appétit ! _». D’autant plus que « Saint-Raphaël-Quinquina toujours en tête ! » offrait même en 1953 une prime du Meilleur Grimpeur du Tour de France. Donc on se persuadait qu’en prenant une boisson au Quinquina on se distrayait, se retrouvait entre amis et peut-être même se soignait-on un peu… Ce qui n’était pas certain mais c’était tout de même meilleur que d’ingurgiter chaque matin les redoutables cuillères d’huile de foie de morue encore prescrites par bien des médecins comme un irremplaçable « fortifiant ». Bref, dans la France des années 1950, le Quinquina sous toutes ses formes faisait partie de notre vie quotidienne.
Mais, au-delà des souvenirs d’enfance, remontons le cours des siècles en historien. Qu’elle est donc la véritable histoire cette mystérieuse écorce déjà connue des Incas et issue d’un arbre du Pérou ? Comment fut-elle déjà reconnue en France sous le règne de Louis XIV qui en racheta le secret ? Comment, au siècle suivant, l’empereur Napoléon Ier encouragea-t-il son usage ? Comment le Quinquina réputé pour ses vertus contre « les fièvres » est-il parvenu jusqu’à nous ? Quelles qualités thérapeutiques a-t-on attribué à l’un de ses dérivés, « la quinine », qui fut isolée il y a tout juste 200 ans par Pierre-Joseph Pelletier et Joseph Caventou. Pourquoi pendant la Seconde guerre mondiale a-t-on cherché à trouver une molécule chimique de synthèse qui puisse se substituer au sulfate de quinine ? Tout cela aboutit, en 1946, à la commercialisation en France de la Chloroquine puis de la Nivaquine. Toutes deux qui, via la quinine, n’en sont pas moins « les petites filles » du bon vieux Quinquina…
Vous pouvez découvrir le détail cette histoire insolite, sur le site de l’historien Gilles Ragache :
giragache-historien.monsite-orange.fr
Texte écrit en Normandie en ces étranges temps de « confinement » et dédié à tous ceux qui courageusement, de la boulangerie à l’hôpital, luttent jour et nuit pour venir à bout de ce redoutable virus.