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A Cerbère les transbordeuses d’oranges ont affronté un train

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Les transbordeuses d’oranges en grève à Cerbère en 1906, Hélène Legrais nous raconte.

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Illustration © Getty - fhm

Vous nous reparlez des transbordeuses d’orange en grève à Cerbère en 1906.

Une seule chronique n’y suffisait pas … surtout avec le fait d’arme que je vais vous raconter. En octobre, nous avions laissé nos transbordeuses maîtresses de la gare qu’elles avaient conquise dans le dos des gendarmes. Clemenceau leur a envoyé l’armée mais les soldats du 24e colonial ont refusé de charger des femmes. Ils se sont improvisés « casques bleus » avant l’heure en s’interposant entre les grévistes « rouges » et les forces de l’ordre. La situation est figée. Les trains ne sont plus transbordés, ils restent à quai et s’entassent les uns derrière les autres, bloquant la frontière. Les oranges pourrissent. Chaque jour qui passe, les transitaires perdent beaucoup d’argent … et leurs clients. La tension est à son comble. La moitié de la population de Cerbère regarde l’autre de travers. Le 29 novembre 1906, une rumeur se répand : un accord est sur le point d’être signée ; tout le monde converge vers l’Hôtel de Ville. Mais une autre rumeur se propage : l’accord a capoté. On reflue vers la gare. La colère gronde, on échange des coups. Tirs de sommation. Ça court dans tous les sens. Soudain la cloche de la gare se met en branle : un train en approche est signalé en provenance de Banyuls. Les rouges ont compris : pendant qu’on amusait la galerie, les transitaires en profitait pour faire venir de la main d’œuvre pour briser la grève. Un cri retentit : « Toutes sur les rails ! » 

Elles veulent se coucher devant le train ?

Exactement ! Avec leurs chignons, leurs jupes longues et leurs tabliers, elles s’alignent sur la voie. Aujourd’hui, il arrive à des manifestants de faire la même chose mais ils préviennent au préalable la compagnie de chemin de fer, la police et surtout la presse ! C’est une action symbolique. Pas ici. Cet élan spontané prend de court tout le monde. Le conducteur du train qui sort du tunnel des Canadeilles n’est pas au courant. Il va les couper en deux ! Des badauds se précipitent à sa rencontre en agitant les bras. Quelques soldats tirent en l’air pour tenter de l’avertir. Les femmes restent toujours allongées, elles se tiennent par la main, elles iront jusqu’au bout. Dans sa cabine, le mécanicien aperçoit enfin des formes, des obstacles sur la voie. Il s’appelle Fajal. Il comprend les signes désespérés qu’on lui adresse. De toute ses forces, il tire sur le levier du frein. L’envoyé spécial de l’Humanité qui assiste à la scène note : « La machine se cabre comme un cheval fou ». Un grincement déchirant. La Pacific s’arrête sur une ultime secousse à deux mètres des premiers jupons. Soulagés, les spectateurs vont relever les femmes. On congratule les héroïnes du jour.

Elles ont gagné alors ?

HEL : Pas vraiment, pendant qu’on s’embrasse, les transitaires font descendre les briseurs de grève du train, les emmènent dans un hangar. Les grévistes décident de passer la nuit dans les wagons. Finalement les pompiers les délogeront à la lance à incendie. Mais Maurice Certeux, le sous-préfet de Céret, est tellement écœuré du traitement infligé à ces femmes qu’il négocie pour elles et grâce à lui elles obtiennent gain de cause : pas de discrimination à l’embauche. Là oui, elles ont gagné !

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