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Les platanes du Canal du Midi ne seront plus qu'un souvenir dans vingt ans

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Près de 15 ans après son arrivée sur le Canal du Midi, le chancre coloré, champignon destructeur, a déjà eu raison de près de 65% des platanes qui bordent le célèbre site Unesco. Petit à petit, d'autres essences remplacent les platanes pour espérer conserver la mythique carte postale.

26.000 platanes ont été abattus le long du Canal du Midi depuis 2006. 26.000 platanes ont été abattus le long du Canal du Midi depuis 2006.
26.000 platanes ont été abattus le long du Canal du Midi depuis 2006. © Radio France - Mathieu Ferri

Des "flammes", du pied du tronc jusqu'aux branches, des marques violacées et un tronc qui se craquelle. Le chancre coloré est un fléau visible pour les platanes, et seulement pour eux. Ceux du Canal du Midi mais pas que, ceux des routes départementales de l'Aude en particulier ont été assaillis bien avant. Arrivé en France dans les caisses de munitions des soldats américains lors du Débarquement en Provence, le champignon s'est surtout développé en région Paca jusqu'aux années 1980-90 avant de transiter vers le Languedoc-Roussillon puis Midi-Pyrénées. Le Canal du Midi, lui est officiellement touché par le chancre coloré depuis 2006. Inéluctablement, les platanes devraient disparaitre du Canal d'ici 2035-2040.

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La Haute-Garonne moins touchée

Apparu sur la commune de Villedubert (Aude) entre Carcassonne et Trèbes en 2006, des foyers se sont essaimés, l'Hérault en 2008, la Haute-Garonne en 2014. Toutefois, la Haute-Garonne est presque miraculeusement épargnée. La maladie n'a obligé les services de VNF (Voies Navigables de France) à supprimer "que" 200 platanes sur les 26.000 abattus et brûlés depuis le début des premiers abattages dès 2006, contre 16.000 dans l'Aude département le plus touché et de loin. Certaines zones dans le Minervois, entre Carcassonne et Béziers sont aujourd'hui presque totalement dénudées, les rangées majestueuses de platanes caractéristiques du Canal ayant laissé place à du vide ou de plus petits arbres en croissance et peu visibles encore de loin.

Alors pourquoi le champignon cause t-il au final peu de dommages en Haute-Garonne, contrairement à l'Aude et l'Hérault? Plusieurs explications sont avancées. La première est la navigation, bien moindre entre Toulouse et Avignonet-Lauragais que sur la partie méridionale du Canal. Le champignon circule sur les bateaux qui naviguent et il rentre dans les platanes par les blessures causées par la maladresse des plaisanciers, souvent néophytes, qui cognent leur embarcation sur les côtés du Canal. Le climat, moins favorable en Haute-Garonne, est parfois avancé comme facteur explicatif mais il est peu plausible. Le chancre coloré pullule le long des routes de Haute-Garonne  y compris dans Toulouse intra-muros, ou même en Ariège. Enfin, en Haute-Garonne, le traitement est beaucoup plus strict : sont coupés les arbres malades mais aussi les arbres se situant dans un cercle de 35 mètres autour.

On retarde mieux la maladie en Haute-Garonne qu'ailleurs grâce à des mesures un peu radicales d'abattage au sens large. Mais les experts disent qu'il n'y aura plus de platanes sur le Canal d'ici 10-15 ans. - Jean-Luc Souldadié, chargé de la mission de replantation à VNF

Le canal latéral à la Garonne, qui va du Port de l'Embouchure à Toulouse à Langon (Gironde), n'est quant à lui pas encore victime du chancre coloré. Le champignon est en revanche apparu ces deux dernières années à Nantes et en région parisienne. La faute aux entreprises de travaux publiques qui transportent les spores dans leurs machines, les outils de coupe.

Les platanes du Canal, enjeu politique

Car malgré les recherches et expérimentations en France et à l'étranger, les laboratoires n'ont pas trouvé de vaccin contre le chancre coloré. La seule solution pour endiguer la maladie est d'abattre et brûler les arbres touchés et ceux qui se trouvent à côté, lorsque cela est socialement et politiquement accepté. "La population est attachée aux platanes du Canal du Midi, même si ce n'est pas la seule essence, c'est la plus représentative. Cette voûte arborée, les platanes qui se rejoignent d'une rive à l'autre. Les gens ont du mal à admettre qu'il faille les couper et les brûler", explique Jean-Luc Souldadié de VNF. Et de fait, si le Canal du Midi, domaine public fluvial, est une concession de l'Etat, comme les autoroutes, Voies Navigables de France n'est pas maître en son royaume. Certains élus locaux usent de tous les stratagèmes et pressions sur les services décentralisés de l'Etat pour s'opposer à ce que leurs platanes, bien qu'affaiblis et potentiellement dangereux, ne soient coupés. Dans l'Aude notamment, certains notables de communes importantes ont fait appel au préfet pour ne pas gâcher complètement leur carte postale.

Des fissures et des taches noires : les caractéristiques du chancre coloré, cette maladie dévastatrice.
Des fissures et des taches noires : les caractéristiques du chancre coloré, cette maladie dévastatrice. © Radio France - Paul Sertillanges

De nouvelles essences à 3.000 euros pièce pour remplacer les platanes

Si les premiers abattages datent de 2006 sur le Canal, les premières replantations ont été effectuées en 2011. Du côté de Marseillette par exemple ou sur le port de Castelnaudary, des chênes poussent depuis neuf ans et ont commencé à redonner au site sa beauté d'antan. Car, hors de question de replanter des platanes sujets au champignon maudit, une dizaine d'essences ont été sélectionnées pour les remplacer. Selon un cahier des charges précis édité par un comité d'experts pour reproduire à terme justement cette fameuse carte postale : des arbres qui montent haut (20-30 mètres), à feuilles caduques avec la même saisonnalité, et sans maladie mortelle connue. Ce sont donc des chênes chevelus essentiellement qui remplacent désormais les platanes mais aussi des micocouliers de Provence vers la Méditerranée, des érables bientôt replantés en Haute-Garonne, des peupliers blancs, des tilleuls, etc.

Il faut compter 3.000 euros pour abattre un platane, replanter une nouvelle essence et l'entretenir pendant trois ans

Et si VNF lance sa campagne annuelle d'appel aux dons pour financer ces replantations, c'est parce que cela coûte très cher, 3.000 euros pièce. Les deux tiers pour l'abattage, un tiers pour la plantation et l'entretien de l'arbre, qui est remplacé si il meurt dans les trois ans. Tout est confié à des entreprises prestataires, des sociétés d'élagages qui disposent d'imposantes machines. Pas forcément locales, VNF fait appel à des groupements dont les sièges sont en région parisienne et en Lorraine. En revanche, pour la plantation, ce sont surtout des entreprises d'Occitanie qui travaillent, entre Toulouse et la Méditerranée. VNF paie aussi des prestataires pour les travaux de berges, les racines des  platanes maintenant la berge. Toutes ces opérations ont pu coûter à VNF jusqu'à 15% de son budget annuel.

Il faudra donc attendre plusieurs décennies pour que les nouvelles essences replantées prennent de l'envergure et redonnent le visuel qui a marqué les esprits. Rappelons que les platanes sont la troisième ou quatrième essence implantée sur le Canal. Quand Pierre-Paul Riquet a fait creuser son œuvre entre 1666 et 1681, il n'y avait pas d'arbres. Ensuite il y a eu des arbres fruitiers, des mûriers pour faire de la soie, puis des arbres qui ont servi à se chauffer et à fabriquer des bateaux. C'est sous Napoléon qu'ont été plantés les premiers platanes le long du Canal, cet arbre d'alignement, idéal sur les routes pour faire de l'ombre aux soldats.

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