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"Balance ton bar" : les signalements d'intoxication au GHB se multiplient, une enquête ouverte
Devant la multiplication du nombre de signalements de victimes du GHB, "la drogue du violeur", dans les bars depuis plusieurs semaines, une enquête est lancée par le parquet de Paris. Mais le nombre de cas est difficile à déterminer, et peu de victimes portent plainte. On vous explique pourquoi.

Des sensations de vertiges, de perte de contrôle, ou carrément des pertes de conscience et un réveil comateux, sans aucun souvenir de la soirée. C'est ce que racontent de nombreuses jeunes femmes, ces dernières semaines, qui pensent avoir été intoxiquées au GHB, "la drogue du violeur", à leur insu.
Le mot clé "Balance ton bar", lancé sur les réseaux sociaux en octobre, rassemble des milliers de témoignages. Les signalements sont en très nette augmentation. Pour savoir s'ils correspondent à une libération de la parole ou à une réelle augmentation des cas, la procureure de Paris a décidé de lancer une enquête, le 17 novembre dernier. L'ampleur du phénomène est difficile à mesurer, en raison de plusieurs facteurs. France Bleu vous explique pourquoi.
De quoi parle-t-on ?
Le GHB est, à l'origine, une molécule utilisée comme médicament. Il a un effet sédatif, calmant et ralentit la respiration et le rythme cardiaque. Il possède aussi une action amnésiante. À fortes doses, il entraîne une sédation et peut provoquer une perte de conscience. Le GHB se présente en général sous forme liquide : sans odeur, sans goût marqué, il ressemble à de l'eau. Il est donc facilement ajouté aux boissons alcoolisées, à l'insu des victimes, sans être détecté, pour faciliter les agressions sexuelles. D'où son surnom de "drogue du viol" ou "drogue du violeur".
Le nombre de signalements explose depuis la rentrée
Le nombre de signalements de victimes du GHB a explosé depuis la rentrée étudiante. Le mot clé "Balancetonbar", lancé en Belgique mi-octobre, a suscité plusieurs milliers de témoignages. Le mouvement s'est propagé en France, où les témoignages ont également afflué : d'abord à Tours, puis dans d'autres villes : Paris, Montpellier, Nantes, Strasbourg, Marseille, Bordeaux, Orléans, Le Mans, Grenoble, Nice, Laval, Reims ou encore Besançon.
Je perds conscience de ce qui se passe, je me cogne dans les gens, dans les murs - Alice, 23 ans
Alice, 23 ans, est convaincue d'avoir été droguée en octobre à Strasbourg : "Avant de prendre notre deuxième verre, on est allés fumer, a-t-elle raconté à France Bleu Alsace. "Quand on revient à la table, je n'ai même pas le temps de boire la moitié du verre, que je me sens extrêmement mal. Je perds conscience de ce qui se passe, je me cogne dans les gens, dans les murs. J'ai les yeux qui se perdent complètement dans les orbites, je ne comprends plus ce qui se passe". La jeune femme rentre chez elle, sans savoir vraiment comment. Elle dort une douzaine d'heures, avant de se réveiller sans souvenir. Depuis, Alice ne laisse plus son verre sans surveillance, et n'a plus envie d'aller en discothèque.
"On assiste à une libération de la parole sur les réseaux sociaux" - Leila Chaouachi, experte sur la soumission chimique
"On assiste à une libération de la parole sur les réseaux sociaux", confirme Leila Chaouachi, pharmacienne et experte nationale sur la soumission chimique auprès de l'ANSM, l'Agence du médicament. La spécialiste, qui reçoit les appels des victimes et les signalements au Centre d'addictovigilance de Paris, a constaté une "remontée des signaux" très nette, essentiellement sur les réseaux sociaux, ces deux derniers mois. "C'est déjà un grand pas", confie-t-elle. Pour autant, difficile de dire si ces témoignages relèvent d'une augmentation des cas ou du fait que les victimes, désormais, parlent. "Ce n’est pas parce qu'il y a plus de signalements qu'il y a plus de cas", résume-t-elle. "Il faut distinguer les signaux, car jusqu'ici il y avait un tabou autour de ce sujet, de la recrudescence des cas", précise-t-elle.
La culpabilité des victimes, obstacle au dépôt de plainte
Pour autant, il est difficile de dire avec certitude si le nombre de cas augmente et dans quelles proportions, pour plusieurs raisons. La première, c'est le sentiment de culpabilité des victimes. Dans la plupart des cas, elles ne portent pas plainte car elles craignent de ne pas être crues, ou d'être jugées par rapport à leur consommation d'alcool. "Il y a une logique de culpabilisation à déconstruire", explique Leila Chaouachi. "Les victimes se disent souvent qu'elles ont bu, et que comme elles se sont alcoolisées elles-mêmes, l'agresseur n'est pas responsable. Elles pensent que c'est de leur faute si elles ont été agressées. Mais la victime n’est pas responsable sous prétexte qu’elle a consommé de l'alcool", rappelle Leila Chaouachi.
A Tours, Margaux a porté plainte après avoir été victime du GHB, dont la présence dans son organisme a été prouvée par un test. Elle aussi veut arrêter de culpabiliser. "O_n se dit oui, t'aurais dû faire attention à ton verre, t'aurais pas dû t'éloigner du groupe, c'est une bonne leçon…Mais en soi ce n'est pas une leçon puisqu'on est victime. Ce n'est pas de notre faute",_ confie-t-elle à France Bleu Touraine.
Difficile de prouver la présence du GHB dans l'organisme
Autre obstacle pour les victimes, la difficulté à prouver qu'elles ont ingéré du GHB à leur insu, car la drogue ne reste dans le corps que le temps d'une nuit. "Quand vous pensez avoir été drogué, c'est une course contre la montre qui s'engage", précise Leila Chaouachi. "Le premier réflexe est de demander de l'aide, de ne pas rester isolée et d'appeler les secours."
Juliette, étudiante à Montpellier, s'est aperçue qu'elle perdait le contrôle lors d'une soirée étudiante en septembre. Immédiatement, elle alerte ses amis. "Je les ai prévenus qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, mais que je ne savais pas ce que c'était, raconte-t-elle à France Bleu Hérault. Ils ont veillé sur moi. À un moment donné, il y avait des mains baladeuses. Ma colocataire a repoussé les garçons, et c'est là qu'elle a compris qu'il y avait quelque chose qui clochait. Normalement, je les repousse. Elle m'a fait sortir de la boîte, et avec une autre amie, elle a essayé de me faire vomir pour faire sortir ce qu'il y avait à l'intérieur de moi", raconte-t-elle.
Dans ce genre de cas, une fois l'urgence médicale écartée, il faut tout de suite porter plainte, conseille Leila Chaouachi. Les urgences médico-judiciaires effectueront immédiatement tous les examens et prélèvements nécessaires.
Il faut parfois porter plainte contre des proches
Pour dénoncer les faits, même s'ils sont avérés, les victimes doivent aussi parfois dénoncer des proches, en qui elles pensaient avaient confiance. Une embûche de plus dans leur parcours. "La plupart du temps, ce sont des personnes connues qui ont administré la substance", explique Leila Chaouachi. "Lorsqu'on laisse son verre sans surveillance, en général, c'est qu'on a confiance", rappelle-t-elle. Et avant de mettre en cause un ami, un collègue, un employeur ou un ex-conjoint, les victimes veulent être sûres qu'il s'agit bien de leur agresseur, et se retrouvent à nouveau face à la difficulté de prouver les faits.
Une écoute aléatoire dans les commissariats
Les victimes qui souhaitent porter plainte se heurtent alors, encore parfois, au manque d'écoute des policiers, voire à des refus de prendre les plaintes. Il y a "tout un travail encore à faire pour que les victimes fassent confiance à la justice et déposent plainte pour permettre l’instruction de l’enquête", reconnaît Leila Chaouachi. "Parfois, les policiers sont bien formés, et parfois, ce n'est malheureusement pas le cas", explique-t-elle, entre autres parce qu'il y a "un turn-over important chez les policiers et que la formation doit être renouvelée sans cesse". "On entend encore des situations qu'on est pas censé trouver, avec notamment un refus de recueillir la plainte sous prétexte que la victime ne peut pas prouver qu'elle a été droguée à son insu."
Pourtant, "il ne revient pas à la victime d'apporter la preuve de son intoxication", rappelle la pharmacienne, "ni de soutenir les frais des analyses toxicologiques. Car après quelques heures, seule une analyse de cheveux peut trouver la trace du GHB, et elle peut être facturée plus de 4.000 euros. Mais si la victime porte plainte, alors les frais d'analyses sont pris en charge par la justice, rappelle la spécialiste.
Une enquête ouverte à Paris
Pour savoir si la circulation du GHB et le nombre de victimes augmente, la nouvelle procureure de Paris, Laure Beccuau, a dévoilé le 17 novembre qu'une enquête avait été ouverte le 8 novembre par le parquet de Paris. "Nous avons à l'heure actuelle neuf plaintes", a-t-elle révélé au micro de RTL. "Ce que nous sommes en train d'accomplir, ce sont toutes les analyses toxicologiques des plaignantes, afin de savoir si elles ont été bien victimes de ce que l'on appelle l'administration de substances de façon non consentie. Les auteurs peuvent encourir des peines tout à fait importantes", a-t-elle souligné.
Pour Jean-Michel Delile, psychiatre addictologue et directeur du Comité d'étude et d'information sur la drogue et les addictions à Bordeaux, les agressions liées au GHB sont clairement en augmentation. Invité sur France Bleu Gironde, il a estimé que le phénomène était "en pleine émergence".
Des actions de prévention dans les bars
Pour tenter de contrer ces agressions, plusieurs bars et discothèques ont placardé des affiches sur leurs murs, rappelant les risques encourus pour les potentiels agresseurs. D'autres communiquent sur l'aide et l'assistance que les serveurs et serveuses peuvent apporter au moindre doute. Certains établissements proposent également des couvercles en plastique pour protéger les verres, comme à Reims ou à Caen.