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Violences dans le quartier de Planoise à Besançon : un an après, le calme est revenu, la drogue toujours là
Après la série de coups de feu qui a secoué Planoise dès novembre 2019, le calme est revenu dans le quartier bisontin. Un an après, l'enquête avance toujours, les interpellations se multiplient. Mais le trafic de drogue continue, même si les règlements de compte se font plus discrets.

C'était il y a un an. Des coups de feu, avec des armes de guerre, retentissaient dans le quartier de Planoise à Besançon. C'était le début d'une série de règlements de compte, sur fond de trafic de stupéfiants entre deux bandes rivales qui vont perdurer pendant des mois, jusqu'au paroxysme : la mort de Houcine Hakkar, le 8 mars 2020. Depuis, le calme est revenu dans le quartier, même si le trafic de drogue est toujours visible.
Sur la place René Cassin, les habitants vaquent à leurs occupations. Certains traînent leur caddie plein, d'autres font une halte pour discuter entre eux. Les violences de ces derniers mois ne font plus partie des conversations quotidiennes. "Les gens n'en parlent plus depuis longtemps. Ce n'est d'ailleurs pas cela qui a marqué les gens. C'est l'incendie de la fourrière et la fermeture de l'Intermarché. C'est un lieu de rencontre", assure un passant dont la famille habite dans le quartier. "Je pense aussi que la covid a occulté les violences", ajoute l'homme.
On n'est pas dans les quartiers Nord de Marseille !
Ce constat, d'autres habitants le partagent. Accoudés contre un muret de la place, trois hommes discutent. Pour eux, c'est indéniable, le quartier est redevenu calme, voire bien plus que ces dernières années, d'autant qu'avec les événements de ces derniers mois, la présence policière a été renforcée. "Ces séries de coups de feu sont des faits sporadiques", assure l'un d'entre eux. "On n'est pas dans les quartiers Nord de Marseille où la violence, on la voit tout le temps. Vous voyez, quand vous vous êtes promenés, vous avez été embêtés ? " demande un autre.
Quelques minutes auparavant, du côté de l'avenue de Bourgogne, une femme s'en est pourtant pris verbalement à nous, à la vue de notre micro France Bleu. Elle a lancé plusieurs "dégage" en notre direction. "Les médias ont fait beaucoup de mal au quartier. Quand on les écoutait ou regardait, on aurait cru que Planoise était l'Afghanistan! Ce n'est pas du tout cela, ce quartier. Il est vivant, on s'y sent bien. J'y ai décidé d'y investir il y a moins d'un an pour monter une micro-crèche", poursuit un autre passant.
Le trafic de drogue toujours présent
Pour autant, les Planoisiens reconnaissent tous une chose : le trafic de drogue, à l'origine des violences de ces derniers mois, est toujours présent. "Rien n'a changé. Les petits jeunes, devant les immeubles, sont toujours là", constate Claude, une habitante du quartier depuis 22 ans.
"Mais vous savez, ces petits jeunes ne s'en prennent pas à nous. Ils sont très respectueux avec les habitants. Ils me portent même mon caddie dans les escaliers. Je sais qu'ils cachent leurs marchandises dans les deux caves de mon immeuble", explique la femme de 72 ans qui assure que cette présence ne l'effraie pas, même si, à l'entendre, elle aurait bien quitté le quartier si elle avait eu une meilleure retraite.
C'est rageant de voir des jeunes gagner en une journée ce que des mamans seules gagnent en un mois
Sa sœur, avec qui elle est allée faire ses courses, reste inquiète. Elle fuit d'ailleurs la place René Cassin lorsqu'elle aperçoit notre micro. "La nuit va tomber, il faut que tu rentres Claude", lui lance-t-elle avant de quitter les lieux. Cette inquiétude, certains habitants la partagent.
Dans la rue Pablo Picasso, on aperçoit le ballet de guetteurs. Il s'agit d'un point de deal bien connu des Planoisiens. Lorsqu'on s'y arrête quelques minutes pour discuter avec quelques habitants, l'une d'entre eux baisse la voix et nous lance de ne pas trop rester par ici. "Je ne suis pas tranquille. Je n'apprécie pas. Sur Planoise, il y a beaucoup de personnes qui vivent dans la pauvreté et quelque part, c'est rageant de voir des jeunes gagner en une journée ce que des mamans seules gagnent en un mois. C'est cette injustice qui me révolte", confie cette même habitante.
Une quarantaine d'interpellations
Cette inquiétude, Etienne Manteaux, le procureur de la République en a bien conscience. Il assure que depuis la vague de violences qui a agité le quartier, le travail des enquêteurs a été conséquent. Le procureur reconnaît que les points de deal sont toujours présents, mais qu'ils ont considérablement diminué depuis automne 2018 et la mise en place du quartier de reconquête nationale. "De moitié", assure de son côté Anne Vignot, la maire de Besançon.
"Il faut être lucide. Il y a encore des gens qui viennent de l'ensemble de la Franche-Comté, voire au-delà, à Besançon et à Planoise pour se fournir en produits stupéfiants car on sait qu'il y a dans le quartier des grossistes de la drogue", précise Etienne Manteaux_. "Le prix est moins cher qu'ailleurs et les produits, de meilleure qualité. Pour autant, le démantèlement des réseaux rivaux a permis de calmer les choses."_
Depuis le 9 mars et le premier coup de filet des enquêteurs sur cette série de violence, une quarantaine de protagonistes a été interpellée et 20 d'entre eux placés en détention provisoire. L'enquête sur les violences de ces derniers mois est toujours en cours. Une importante information judiciaire a été ouverte pour tentative d'assassinat, association de malfaiteurs et trafic de stupéfiants, précise Etienne Manteaux : "Pour ce dossier, il y a aura un procès d'ici fin 2021, début 2022. Pour l'instant, toutes les personnes mises en cause n'ont pas encore été interpellées."
Etienne Manteaux insiste sur la difficulté des enquêtes, due à l'absence de coopération des victimes : "Cela explique le fait qu'il n'y a pas eu d'interpellation dans l'enquête sur l'assassinat, le 8 mars 2019, d'Houcine Hakkar. Mais je le dis haut et fort, ce dossier, je suis persuadé qu'à brève échéance, nous l'éluciderons."
Mais le magistrat n'est pas dupe. Il constate que les rivalités entre bandes perdurent. Selon lui, le premier confinement a réduit temporairement le trafic, avec notamment la fermeture des frontières qui a limité le réapprovisionnement des trafiquants. Mais depuis, tout a repris. "Le contexte général et sanitaire de l'année 2020 dans lequel nous évoluons, n'incite pas à l'optimisme. Il incite plutôt les toxicomanes à se réfugier dans les paradis artificiels", déplore Etienne Manteaux.
Ces dernières semaines, des "charbonneurs", ces individus en charge de la revente de produits stupéfiants, ont été poignardés aux fesses. "Des signes encore de rivalités sur le terrain pour s'accaparer des marchés", selon le magistrat.
Aller au-delà du volet répressif
Pour vaincre l'insécurité et le trafic, la maire et le procureur de Besançon souhaitent aller plus loin que la répression : lutter contre la consommation de drogue. "Si la demande en stupéfiant est là, elle se déplacera d'une cage d'escalier, d'une rue et les vendeurs seront toujours là", insiste Etienne Manteaux. Parmi les projets en cours, le magistrat fait savoir qu'une convention a été signée le mardi 8 décembre entre le tribunal de Besançon et l'Agence Nationale de Santé. Il s'agit de la mise en place d'injonction thérapeutique à destination des toxicomanes, avec l'accompagnement de trois médecins-relais pour les faire sortir de leur dépendance. Le dispositif est pleinement opérationnel et devrait débuter dans les semaines qui viennent.
L'addictologie, c'est aussi le fer de lance d'Anne Vignot. Dans son programme pour l'élection municipale, la candidate à l'époque avait envisagé la question d'une salle de shoot. "Nous travaillons sur la mise en place d'un bus qui se déplacerait dans tous les quartiers de la Ville pour entrer en contact avec les personnes dépendantes" explique la maire aujourd'hui.
Aller au-delà de la répression pure et simple, c'est aussi accentuer la présence de la police municipale. "Nous avons eu beaucoup d'agents de la police nationale pendant ces épisodes de violences, tout comme pendant le confinement. Mais nous voyons très peu la police municipale, du moins, à pied", précise Monique Choux, l'une des animatrices du conseil citoyen du quartier de Planoise. Cette habitante souhaiterait davantage de présence de ces agents municipaux, non pas seulement pour sanctionner mais pour entrer davantage en contact avec les habitants.
Une présence qu'entend bien mettre en place la maire de Besançon. "Nous avons fait venir 38 agents de la police nationale dans la ville de Besançon ces derniers mois", explique Anne Vignot, "au prochain conseil municipal, une nouvelle convention police nationale/police municipale sera votée, afin de définir le rôle de chacun et leur efficacité".
Se réapproprier le quartier
Du côté du quartier, on parie sur le lien social pour apaiser les lieux. "Le confinement a aidé à refaire du lien entre les nombreuses associations du quartier comme Miroir de femmes. Cela a donné lieu a des projets", souligne Monique Choux. "A la place du forum, le conseil citoyen souhaite mettre en place un jardin partagé où interviendront les écoles, les associations et les habitants afin de se réapproprier les lieux." Ces jardins pourraient se multiplier un peu partout sur les espaces verts de Planoise.
Autre projet en cours de validation, la création de fresques pour embellir le quartier. "C'est un moyen de faire ressortir les habitants de chez eux, que les gens se connaissent pour créer une cohésion et une mixité", ajoute Nicole Henri-Mussert, coanimatrice du conseil citoyen.
Les habitants ne se sentent ni respectés, ni reconnus
Le conseil citoyen de Planoise attend désormais des actes. Faire avancer notamment le projet gouvernemental de la cité éducative pour permettre d'aider à la réussite scolaire et avancer le programme de rénovation urbaine pour un impact positif sur l'habitat. Des moyens de changer positivement l'image de Planoise.
Encore faut-il que le quartier ne soit pas oublié. Une frustration pour ces membres du conseil : la quasi-absence, en cette période de fêtes, de décorations de Noël dans le quartier. "L'élu a reconnu un raté. Mais c'est chaque année ! On est sur un symbole certes, mais cela aurait montré de l'attention, montré qu'on pense à nous après cette période difficile. Les habitants ne se sentent ni respectés, ni reconnus comme des habitants à part entière de la ville. C'est pour cela qu'ils rejettent tout", déplorent les membres du conseil citoyen.