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"Gérer de plus en plus à l’amiable" : les affaires familiales victimes du coronavirus en Pays de la Loire

La pandémie a rallongé les délais d’audience de la plupart des tribunaux des Pays de la Loire. Les affaires familiales, notamment, ont vu leur calendrier bouleversé. Avec des conséquences importantes sur les couples et leurs enfants.

Un panneau indique à quel endroit se déroulent les audiences du juge aux affaires familiales, au tribunal judiciaire de Nantes, le 26 novembre 2020 (illustration). Un panneau indique à quel endroit se déroulent les audiences du juge aux affaires familiales, au tribunal judiciaire de Nantes, le 26 novembre 2020 (illustration).
Un panneau indique à quel endroit se déroulent les audiences du juge aux affaires familiales, au tribunal judiciaire de Nantes, le 26 novembre 2020 (illustration). © Radio France - Clémentine Vergnaud

"On a un sinistre des affaires familiales qui arrive" au Mans. La bâtonnière sarthoise, Anne de Luca Péricat, a le verbe lourd quand elle évoque les délais d’audiencement devant le juge aux affaires familiales, qui s’occupe notamment de trancher les divorces ou la garde des enfants en cas de séparation. Et elle n’est pas la seule : dans tous les barreaux des Pays de la Loire, la situation est extrêmement tendue. La faute notamment à la pandémie et au premier confinement mais pas seulement. 

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Jusqu'à 18 mois pour une première audience

Concrètement, les calendriers ont explosé. Au Mans, par exemple, il faut compter jusqu’à 18 mois pour passer devant le juge, contre trois à six mois avant la pandémie. A La Roche-sur-Yon, pour un premier rendez-vous dans le cadre d’une procédure de divorce, on est passé de quatre à neuf mois à la sortie du confinement, pour revenir à sept ou huit mois fin novembre. A Nantes, les délais étaient déjà de neuf mois avant le confinement. A la mi-mai, ils avaient bondi à quinze mois, avant de se stabiliser à un an fin novembre. A Laval, on reste chanceux mais les délais sont quand même passés de un à trois mois.

"On est surtout submergés par les requêtes depuis la fin de l’été", détaille Rémi Le Hors, le président du tribunal judiciaire de Nantes. Et le nombre de dossiers de séparation paraît augmenter aussi dans certaines juridictions : au Mans, selon le bâtonnat, il y a eu 900 requêtes devant le juge aux affaires familiales depuis le début de l’année, contre 600 en 2019.

Plus d’un mois pour une procédure en urgence

Cette situation a évidemment des conséquences très importantes pour les couples et leurs enfants. "Ça rend les choses compliquées dans une matière où c’est déjà très complexe", confie maître Anne de Luca Péricat. "On a des situations qui auront évolué dans 18 mois. Et que fait-on en attendant ?" En attendant, maître Carole Verdu, avocate aux barreaux de Nantes et La-Roche-sur-Yon, tente de trouver des solutions. "Il faut gérer de plus en plus à l’amiable", dit-elle, expliquant que ces procédures représentent désormais 80% de ses dossiers. Pour les séparations hors divorce, qui concernent des gardes d’enfants, "on essaie de faire des accords parentaux" pour éviter un rendez-vous devant le juge. "J’explique souvent aux gens les délais actuels, en leur disant que, en attendant le rendez-vous devant le juge, il faut gérer la crise conjugale et trouver un accord par la porte ou par la fenêtre, quitte à ce qu’il soit provisoire." Une démarche qu’en 22 ans d’exercice, elle n’avait pas encore vraiment pratiquée. "Ces contrats sont un outil pour trouver une solution beaucoup plus rapidement et passer à autre chose", explique Xavier Maillard, avocat au barreau de Laval.

En Pays de la Loire, les délais d'audiencement devant le juge aux affaires familiales ont bondi avec le confinement.
En Pays de la Loire, les délais d'audiencement devant le juge aux affaires familiales ont bondi avec le confinement. - Clémentine Vergnaud

Mais tout ne peut pas se régler à l’amiable. Et les procédures d’urgence ont, elles aussi, accusé le coup. "Je viens de déposer une demande, j’ai une date en janvier", se désole Anne de Luca Péricat. Avant, selon elle, il fallait deux à trois semaines maximum pour une telle requête. "Ce sont des matières sensibles, où l’humain est au cœur du dossier et c’est très compliqué. Ça surajoute de la tension et du contentieux, ce qui génère des situations humaines très difficiles à gérer", confirme Bruno Carriou, bâtonnier du barreau de Nantes. "On a eu beaucoup de difficultés [pendant le premier confinement] par rapport aux droits de visite ou aux gardes alternées. Ça a créé des tensions pas possibles", se souvient maître Verdu. Et même des blocages, au point que l’avocate a dû intervenir pour calmer les choses.

"Un manque d’anticipation" du ministère

Ces difficultés ne sont pas uniquement liées au coronavirus : "Sur les trois premiers mois de l’année, il y a quand même eu la grève des avocats", tient à rappeler Pierre Sennès, procureur de la République de Nantes. "Pendant cette période, il n’y avait pas d’audiences, sauf pour les urgences, les comparutions immédiates et les détentions. Ça a durement touché le fonctionnement de la juridiction." Avant cela, "la fusion des juridictions entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance a nécessité des aménagement qui ont conduits à réduire l'activité fin 2019 et début 2020", abonde Sabine Orsel, présidente du tribunal judiciaire de Laval. 

Par ailleurs, dans beaucoup de barreaux, il manque des greffiers. "Notre fonctionnement habituel est un fonctionnement avec 20% de greffiers manquants. Ce n'est donc, de toutes façons, pas un fonctionnement habituel", indique Sabine Orsel. De plus, ceux-ci n’ont pas eu le matériel informatique adéquat. "Pendant le premier confinement, les greffiers ne pouvaient pas travailler à distance, à la différence des magistrats qui disposaient d’ordinateurs leur permettant de faire certaines choses. Mais si un magistrat n’a pas son greffier, les jugements qu’il rend ne peuvent pas sortir", déplore le bâtonnier de Nantes. 

Un banc du tribunal judiciaire de Nantes condamné à cause de l'épidémie de coronavirus, le 26 novembre 2020.
Un banc du tribunal judiciaire de Nantes condamné à cause de l'épidémie de coronavirus, le 26 novembre 2020. © Radio France - Clémentine Vergnaud

Le confinement a donc créé un embouteillage, mettant en lumière le manque de moyens des tribunaux pour mettre en œuvre le télétravail. "Il y a un gros problème d’équipement", confirme Anne de Luca Péricat. Selon maître Carriou, qui évoque "un manque d’anticipation" de la part du ministère, des ordinateurs portables devaient être donnés aux greffiers au mois de mai_. "Les premiers sont en train d’arriver"_, répond le président du tribunal de Nantes, qui explique que les marchés publics prennent toujours du temps. Il assure que cela va permettre de développer le télétravail à l’avenir.

Chez les greffiers, il y a une vraie souffrance

Conséquence de cette situation : une atmosphère tendue dans les palais de justice. "Chez les greffiers, il y a une vraie situation de souffrance", affirme Bruno Carriou. Le président du tribunal ne s’en cache pas : "Le contrecoup a été lourd parce que non seulement les audiences reprenaient mais il fallait en même temps absorber le traitement des procédures faites par les magistrats à domicile pendant le confinement." Situation similaire à La Roche-sur-Yon, selon Carole Verdu. "C’est un peu tendu car chacun est conscient qu’actuellement on est sur des délais qui ne sont pas ordinaires. On utilise les procédures d’urgence mais tout le monde essaie de passer devant les autres. Des tris drastiques sont donc faits dans les dossiers et l’urgence de l’un n’est pas forcément l’urgence de l’autre…"

Des salles des pas perdus clairsemées, des retards qui peinent à se résorber, des conditions de plaidoiries modifiées… Triste ambiance dans le monde de la justice actuellement. "C’est la morosité ambiante pour tout le monde : clients, magistrats, avocats, greffiers… C’est compliqué, on n’a pas de visibilité pour l’avenir", témoigne maître De Luca Péricat. Le président du tribunal judiciaire de Nantes confirme : "Il y a une certaine sinistrose." Rémi Le Hors comme sa consœur de Laval, Sabine Orsel, estime qu'il faudra près d'un an pour que les tribunaux retrouvent leur vitesse de croisière de l'année 2019. 

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