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"Il faut savoir dire qu'on ne sait pas, jouer la transparence" pour le directeur du CHU de Montpellier

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Tous les matins pendant la période des fêtes, une personnalité du département se confie sur France Bleu Hérault. Le directeur du CHU de Montpellier, Thomas Le Ludec revient sur la gestion d'un virus inconnu, la peur de perdre un membre de son équipe, la recherche d'un peu de répit dans les BD.

Thomas Le Ludec, directeur du CHU de Montpellier Thomas Le Ludec, directeur du CHU de Montpellier
Thomas Le Ludec, directeur du CHU de Montpellier - CHU

Tous les matins pendant les fêtes de fin d'année, France Bleu Hérault reçoit à 7h45 une personnalité du département pour un entretien plus intime. Thomas Le Ludec, 56 ans, directeur du centre hospitalier universitaire de Montpellier depuis 2016 a accepté de se livrer.

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Quelle est l'image que vous voyez quand vous fermez les yeux et que vous repensez à cette année folle ?

Je crois que c'est lorsque nous étions en cellule de crise et que nous avons tous pris conscience que nous étions en train de basculer dans un autre monde, on échangeait sur ce qui se passait en Italie. Nous avions reçu les premiers patients positifs au Covid. Ils étaient italiens et là, on s'est dit "on ne va pas y échapper". On est entre le 4 et le 6 mars et on avait eu notre premier patient le 27 février. Et là, on se dit qu'on a que quelques jours devant nous pour prendre des décisions qui s'imposent avec un niveau de connaissance partiel. Les données dont on disposait étaient des données chinoises. On s'est vite aperçu qu'il se passait quelque chose de différent en Europe avec ce que vivaient nos amis italiens. 

Quand vous avez choisi cette carrière de directeur d'hôpital, est ce que vous vous êtes dit un jour que vous alliez être confronté à une crise sanitaire aussi grave que celle là ? Est ce que vous y étiez préparé ? 

J'y avais réfléchi parce que tout simplement, les épidémies, on nous les enseigne à l'école de Rennes. On avait eu des cours sur les grandes épidémies. De là à vous dire que j'étais certain qu'un jour, je vivrais quelque chose de cette ampleur ?  Non ! Je vais être honnête avec vous ! Mais j'ai vécu la crise H1N1 en 2009-2010. C'était déjà, si je puis dire, une répétition qui, fort heureusement, n'a pas eu la gravité que nous avons aujourd'hui.

Et puis, j'avais étudié des épidémies graves en tant qu'enseignant aussi, et je m'étais intéressé à la grippe espagnole, à la grippe asiatique et la grippe de Hong Kong grippe des années 50-60, à l'épidémie de sida, à Ebola. Et j'avais observé ce qui s'était passé à ce moment là. Et ça rend d'ailleurs modeste parce que beaucoup de contemporains de ces crises n'ont pas compris ce qui se passait. C'est après, en général, qu'on comprend un peu les choses. Et donc, on était quelques uns dans la cellule de crise à avoir différents vécus notamment les infectiologues, ou certains réanimateurs. On a assez vite compris qu'il y avait une croissance mathématique du virus qui allait nous amener dans un mur si on ne prenait pas rapidement des décisions.

Vous avez été amené à prendre beaucoup de décisions. Est ce que vous avez eu peur de vous tromper ?

Toujours. Je pense que c'est nécessaire d'avoir toujours ce moment de doute. Pendant la période la plus intense où on avait des données parcellaires, on dévorait tout ce qui s'écrivait sur le sujet pour essayer de repérer des tendances, de voir comment d'autres faisaient. Et d'ailleurs, le ministère avait organisé un partage d'expériences. C'était aux alentours du 9 mars, avec les hôpitaux du Grand-Ouest qui vivaient quelque chose de dramatique parce qu'ils n'ont pas eu le temps de réfléchir à ce qu'il fallait faire. 

Donc, nous, on avait un peu plus de temps et on nous ont disait que tout ce qu'on mettait en place en 24 heures, c'était c'était déjà dépassé. Donc on s'est dit, il faut prendre toutes les décisions qui vont nous faire gagner à chaque fois 24, 72 heures, quatre jours pour être prêt pour monter des marches d'escalier, pour accueillir les patients en réanimation et en médecine. 

Vous avez eu le sentiment de courir tout le temps après le temps ? 

Au début, oui, bien sûr. Et puis, le point le plus important ça a été de faire prendre conscience à des gens qui étaient loin de notre analyse que la situation était vraiment grave et qu'il fallait vraiment prendre des mesures qui étaient complexes. Dire par exemple à un orthopédiste qui lui, s'occupe de la chirurgie qu'il va falloir ralentir l'activité de manière notable parce que on va devoir libérer des personnels pour faire face.

Il faut rapidement bien expliquer les choses,montrer des données. Et là, effectivement, quand on montrait les données, ça parlait aux gens. Donc, il faut aussi partager. C'est un exercice de transparence. Sinon, ça aurait traîné en longueur. Donc, on n'a pas le temps de négocier des jours et des jours pour mettre les choses en place. 

"On a eu à cœur de maintenir et même de renforcer le dialogue avec les syndicats pour qu'ils nous fassent remonter les problèmes, on ne peut pas avoir les yeux derrière la tête."

Il faut aussi gérer l'humain dans cette crise. On rappelle que le CHU, c'est près de 12.000 salariés quand même. Vous êtes le premier employeur du département de l'Hérault. Il y a eu des gens qui ont été malades, il y a eu des gens qui étaient fatigués, des gens qui ont été en souffrance, des gens qui ont eu peur. Comment avez-vous assumé ce rôle ? Qu'est ce que vous en retenez comme leçon de vie aussi ? 

Finalement, ce que j'en retiendrai c'est qu'il faut essayer de maintenir les éléments de la vie d'avant, si je puis dire, le plus longtemps possible. La vie d'avant, c'est un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ce CHSCT, on l'a réuni quasiment toutes les semaines pendant deux mois. D'habitude, c'est une fois par mois.

Ces organisations syndicales sont là pour nous dire ce qui ne va pas, les problèmes qui se posent parce qu'on n'a pas les yeux derrière la tête. C'était extrêmement important d'avoir cette information. Deuxième élément, je crois que c'est essayer de prendre soin des équipes autant que possible. Il y a des tas de dispositifs qu'on a mis en place, d'écoute, d'accompagnement psychologique. 

On n'a pas tout vu parce que là aussi, il faut rester humble

"Avec le taux de mortalité, certains personnels ont pris des chocs."

Les gens prennent des chocs. Les professionnels de santé qui se sont retrouvés pour certains à voir un taux de mortalité qu'ils n'avaient pas l'habitude de voir. Ça a été un choc. Mais c'est souvent un choc qui se matérialise plusieurs semaines, voire plusieurs mois après ça.

Hier, je discutais avec un chef de service qui me disait qu'il était inquiet en début de deuxième vague sur comment son équipe allait tenir. Il était beaucoup moins inquiet en fin de deuxième vague parce que finalement, les organisations mises en place ont été assez résilientes. On a fait en sorte de prendre soin aussi de l'information. Donc, il y avait un communiqué quotidien pendant la première phase de crise. Il y avait aussi les conférences de presse car c'était important de donner une information, y compris quand on ne savait pas. 

Donc, je crois que c'est important aussi de montrer aux uns et aux autres qu'on progresse en marchant. 

"Notre stress majeur, c'était de perdre l'un des nôtres, de voir mourir un professionnel de santé."

C'est difficile de dire à son équipe ou même aux médias "Je ne sais pas" ?

C'est difficile psychologiquement si on n'est pas prêt, il faut s'y préparer. Moi, ça m'arrive de dire "je ne sais pas". On n'est pas omniscient et surtout face à un virus qu'on a appris à connaître. Mais il faut imaginer que début mars, il y avait encore des gens qui pensaient que c'était une grippette. Donc ça, c'est un point important. 

Mais en réalité, notre facteur de stress numéro 1, ce n'était pas l'absence de connaissance, le facteur de stress numéro 1 à tous, c'est que l'un d'entre nous décède. Ça, ça a été un stress énorme. Tous les tous les professionnels qui ont eu à traiter un autre professionnel de l'hôpital vivait avec ce stress. Je pense notamment à l'un d'entre eux, resté plusieurs semaines en réanimation. Quand il a été sorti d'affaire, ça a été un soulagement, un réel soulagement. C'est vrai que c'était le point de stress numéro un en première vague. En deuxième vague aussi. Mais un peu moins parce qu'on connaissait mieux le virus. Un peu moins aussi parce qu'on avait davantage de mesures de protection, les fameuses mesures barrières. Et puis parce qu'on avait les tests. 

On a eu énormément de professionnels touchés. Aujourd'hui, au moment où je vous parle, on a eu, entre la première et la deuxième vague, 500 professionnels contaminés, (environ 350 paramédicaux et 130 médecins), donc c'est considérable. Et évidemment qu'on se préoccupe de savoir ce qu'ils deviennent. 

"Avec sa famille, il faut répondre aux questions mais savoir parler d'autre chose aussi."

Vous êtes directeur d'hôpital, mais vous êtes aussi un homme, un mari, un père de famille. Comment on gère ça avec ses proches ? Qu'est ce qu'on dit à sa famille quand on rentre le soir ? 

Le mieux, c'est d'en parler, d'être assez naturel. C'est vrai qu'il y a deux erreurs ou deux écueils à éviter. La première, c'est de rentrer chez soi et de garder tout ça pour soi en intégralité. Parce que, de toute façon, votre famille vous pose des questions. Où on en est ce qu'on a les masques ? Quelles sont les perspectives, y compris thérapeutiques ? Combien de temps ça va durer ? Les questions sont considérables. Mon épouse est enseignante, donc j'ai aussi au des questions sur les enfants. Est ce que des enfants peuvent être contaminants ? Ça a été quelque chose de très présent, évidemment, dans nos conversations familiales. Le deuxième écueil, c'est de ne parler que de ça. Il faut aussi pouvoir avoir des moments de respiration où on parle d'autre chose. 

Qu'est ce que vous faites le week end pour vous aérer la tête ? Pour vous changer les idées ? 

J'essaye de faire ce qui peut me faire plaisir et dans ce qui peut me faire plaisir, il y a la vie familiale. Il y a aussi la lecture. Quand on est autant pris part par un mouvement qui vous dépasse quand même, on a du mal, parfois, à se concentrer. Donc, ce n'était pas une année de grands romans. En revanche, je n'ai pas de peine à dire que je lis beaucoup de bandes dessinées, de romans graphiques, parfois des romans documentaires. Si ça m'offre une heure d'évasion, ça me suffit

"Le maître mot c'est l'humilité, il ne fallait pas être "rassuriste", mais donner l'information fiable qu'on avait."

Vous êtes plutôt un homme de l'ombre. Comment avez-vous vécu cette surmédiatisation ? Est-ce que vous vous sentiez préparé à l'exercice ? 

Je ne l'ai pas fait de manière contrainte parce que tout simplement, je crois que c'était notre devoir de donner une information fiable. Et vraiment, je tiens à rendre hommage aux professionnels de santé qui nous ont aidés dans cette communication. On avait à cœur de donner l'information que nous nous étions en capacité de délivrer. Le maître mot, c'est l'humilité et finalement l'humilité de dire que la situation est grave, mais qu'on s'adapte. Il ne s'agit pas d'être entre "rassuristes" Il s'agit de dire ce que l'on fait, ce que l'on sait.

Les fêtes de fin d'année approchent. Vous allez passer Noël comment ? 

En famille. Je ne vais pas vous surprendre : de manière très raisonnable et nous allons essayer, en tout cas de faire en sorte de nous retrouver, mais pas à plus de six. 

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