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Le désert médical gagne du terrain, même à Aix-en-Provence
Huit millions de Français vivent dans un désert médical. Le phénomène s'aggrave, même en ville. Reportage à Aix-en-Provence.

Huit millions de Français vivent dans un désert médical. Ils ne peuvent pas consulter plus de deux fois par an un médecin. 6,3 millions n'ont pas de médecin traitant selon l'Assurance maladie. La région PACA est la deuxième région la mieux dotée en densité médicale : 143 généralistes pour 100.000 habitants. Malgré tout, les besoins d'une population vieillissante augmentent plus vite que le renouvellement d'un corps médical, lui-aussi vieillissant, y compris en zone urbaine.
Salle d'attente bondée chez le bon docteur
Aix-en-Provence, 142.000 habitants. Premier étage d'un petit immeuble modeste, collé au boulevard circulaire. Le modeste cabinet médical est une institution. On ne s'attend pas à trouver ici l'illustration du désert médical qui ronge le pays. Trois quarts d'heure avant l'ouverture de l'après-midi de consultations sans rendez-vous, la salle d'attente, limitée à cinq pour cause de Covid, est déjà pleine. Les prochains patients attendront dans la cage d'escalier, jusqu'à l'extérieur.
Le docteur Coubard est connu, reconnu. Plus de trente ans d'expertise. "Un bon docteur. On n'en a pas trouvé de meilleur." résume Francine qui s'angoisse à l'idée de son départ à la retraite. "Comment va-t-on faire pour retrouver un médecin traitant ? Ils ne prennent plus personne !" s'inquiète la septuagénaire_. "On va lui interdire de la prendre, sa retraite !"_ plaisante Fernand qui attend son tour, debout dans le couloir.
"On ne peut plus se soigner en France. À part prendre des médicaments, soi-même ! C'est très inquiétant" - Stéphanie, malade dans la salle d'attente
Car François Coubard a dépassé la soixantaine. Il nous assure qu'il travaillera encore jusqu'au bout, quelques années. "Le désert médical ne cesse de s'aggraver" nous confie-t-il dans son cabinet, juste avant de lancer son marathon. "En 2021, autour de moi, cinq confrères sont partis à la retraite. Un seul a été remplacé".
Toutes les études le démontrent : en France, la présence médicale s'est totalement dégradée depuis 2017.
Des journées de dingue : 7h - 20 h !
Le résultat de la pénurie se traduit dans les journées de dingue que le praticien doit assumer. Dès sept heures du matin, il consulte à domicile ou sur rendez-vous. Et l'après-midi sans rendez-vous : "On n'est pas très nombreux à continuer à consulter sans rendez-vous. Du coup je finis vers 20 heures, jusqu'à épuisement du nombre de malades présents dans la salle d'attente". Et épuisement du docteur. "Pour moi c'est terrible. Je vois que les conditions de travail et d'accueil se dégradent. De plus en plus de monde dans la salle, de plus en plus d'attente. Heureusement, mes patients sont très patients ! Ils comprennent. Mais ça me désole".
"Il faut recruter des médecins. Nos gouvernants n'ont pas anticipé" - Docteur François Coubard
Comment expliquer une telle pénurie ?
Aix-en-Provence, a priori pas la ville la moins attractive des Bouches-du-Rhône. Alors, pourquoi ce désert qui avance ? D'après François Coubard, les causes sont multiples :
- Pas assez de médecins formés : "Il faut huit ans pour former un médecin. Nos gouvernants n'ont pas anticipé. Il faut recruter !"
- Loyers trop chers à Aix-en-Provence : "L'immobilier à Aix-en-Provence est terrible".
- Mise aux normes "handicap" coûteuses : "Mon cabinet n'est pas aux normes. S'il y a une rupture dans l'activité, s'il n'est pas repris dès que je prends ma retraite, il ne pourra plus jamais servir de cabinet médical".
- Trop de tâches administratives : "Avec les mails, ça me prend une heure de travail en plus par jour".
Imposer les installations de médecins ?
Le débat anime la campagne de l'élection présidentielle. Comment lutter contre les déserts médicaux ? Salarier des médecins avec des horaires fixes ? Le médecin provençal n'y est pas favorable : "Médecin généraliste, c'est une relation personnelle, individuelle. Pour moi, ce n'est pas compatible avec le salariat". Certains candidats veulent imposer les installations là où on manque de médecins. _"Pourquoi pas ?" e_stime le docteur Coubard, "mais à condition de le dire aux jeunes dès qu'ils commencent leurs études. On ne doit pas changer la règle du jeu en cours de route".
Chez les patients, les avis sont partagés. Fernand est partisan de la manière forte. "Ils doivent aller là où on a besoin d'eux. C'est du service public". Francine y est farouchement opposée : "Non mais c'est leur liberté, quoi ! Moi je comprends qu'un médecin n'ait pas envie de se retrouver dans un trou avec sa femme qui ne trouve pas de travail !" Marie-Thérèse pense que la profession doit être revalorisée et facilitée avant de prendre des mesures coercitives : "Déjà leur diplôme est impossible à obtenir. Huit ans d'études pour commencer à 2.500 euros, franchement, moi, je comprends qu'on manque de médecins."
Situation inquiétante
Stéphanie est abattue quand elle arrive au pied de l'escalier et qu'elle comprend qu'elle va devoir attendre peut-être deux heures. Désespérée**.** "Il va quand même falloir trouver une solution. On ne peut plus se soigner en France. À part prendre des médicaments soi-même ! Depuis ce matin, je cherche un médecin. Je suis allée ailleurs ce matin. Il y avait 25 patients devant moi, j'ai fait demi-tour."
"Il y avait 25 patients devant moi, j'ai fait demi-tour" - Stéphanie, patiente à Aix-en-Provence
Stéphanie est inquiète : "Ma mère et mon père sont malades aujourd'hui. Personne pour les soigner à la maison ! Fièvre, courbatures... Mon père a 78 ans et c'est ma mère qui va devoir les conduire dans un cabinet où ils vont attendre pendant des heures. Et je ne parle pas d'aller aux urgences. Aux urgences, il faut attendre trois jours ! Tout ça est très inquiétant. C'est catastrophique".
Les propositions des candidats à l'élection présidentielle
- Emmanuel Macron a tenu sa promesse de doubler le nombre de maisons de santé. Il promet de faire de la santé un grand chantier de son futur quinquennat s'il est élu. Il reprend l'idée de Pécresse et d'Hidalgo de professionnaliser les étudiants en quatrième année dans des zones sous-dotées.
- Eric Zemmour propose que l'Etat embauche 1000 médecins et les envoie dans les déserts médicaux.
- Nicolas Dupont-Aignan : une bourse pour les étudiants en médecine qui s'engagent en échange à s'installer dans une zone sous-dotée
- Marine Le Pen : un rééquilibrage des installations entre campagnes et métropoles avec des incitations financières fortes.
- Valérie Pécresse demande à l'assurance maladie une dotation qui permettra d'abonder la rémunération des professionnels de santé dans les zones sous tension. Demande aux étudiants en 4ème année de se professionnaliser dans des zones mal dotées.
- Anne Hidalgo a la même idée concernant la quatrième année, elle veut aussi doubler le nombre de diplômés en médecine avec une rémunération de départ de 3.500 euros.
- Jean-Luc Mélenchon veut imposer l'installation de jeunes pendant dix ans, en contrepartie d'un meilleur salaire durant leurs études.
- Pour Fabien Roussel, un médecin ne pourra s'installer dans une zone dense que s'il prend la place d'un départ en retraite.
- Yannick Jadot a la même idée que Roussel. Il veut doubler les capacités d'accueil des facultés de médecine.
- Comme la plupart des candidats, Nathalie Arthaud et Philippe Poutou préconisent la création de centres de santé avec des médecins salariés.
- Jean Lassalle veut supprimer le numerus clausus à l'entrée des études médicales.