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Amende forfaitaire pour les usagers de drogue : "ce n'est pas une politique de santé publique"
Alors que le premier ministre Jean Castex vient d'annoncer la généralisation d'une amende forfaitaire pour les usagers de drogue, des voix s'élèvent pour dénoncer cette mesure. Yann Bisiou, professeur de droit à l'université Paul Valéry de Montpellier et spécialiste du droit de la drogue s'y oppose.

Être arrêté en train de fumer un joint en public pourra bientôt coûter cher. En déplacement à Nice samedi pour présenter des mesures contre l'insécurité , le premier ministre Jean Castex a annoncé la mise en place d'ici la rentrée d'une amende forfaitaire : 200 euros pour toute personne surprise en train de consommer de la drogue, 150 euros si l'amende est réglée sous quinze jours, 450 euros au-delà de 45 jours, une amende quoi qu'il en soit attribuée sans poursuites en justice.
La mesure était expérimentée notamment à Rennes, Reims, ou encore Créteil depuis la mi-juin. Elle ne concernera pas les mineurs, et seulement les personnes en possession d'une quantité limitée de stupéfiants : 100 grammes pour le cannabis, 10 grammes pour la cocaïne. Juriste spécialiste des questions de toxicomanie, Yann Bisiou, professeur de Droit à l'université Paul Valéry à Montpellier , dénonce une mesure contre-productive en termes de santé publique et inadaptée à lutter contre le trafic.
Que vous inspire cette mesure annoncée samedi par Jean Castex ?
C'est consternant. C'est consternant de prétendre régler les problèmes du trafic -qui sont réels- en tapant sur les usagers, en instaurant une amende forfaitaire pour usage de stupéfiants dans les lieux publics, ça n'a pas de sens. Le premier reproche qu'on peut adresser au dispositif, c'est qu'une sanction pénale pour usage de stupéfiants s'accompagnait d'une incitation aux soins.
Or, là, avec l'amende forfaitaire, on n'a aucune incitation aux soins. C'est un permis de fumer moyennant une amende à payer de 200 euros. Donc en termes de prévention des addictions et des conduites addictives, ça n'a aucun sens. Ensuite, le deuxième argument, c'est que soi-disant, c'est pour plus d'efficacité et de simplicité du travail policier. C'est à voir, mais ce qui est certain, c'est que ça transfère la charge de ce contentieux sur les magistrats.
Ce sont les juges et les tribunaux qui vont être engorgés par les procédures pour amende forfaitaire délictuelle. En fait, on ne règle rien. Et dernier élément, on l'a vu avec le confinement, la consommation de stupéfiants en France et en particulier de cannabis s'est beaucoup diversifiée. Les gens cultivent eux-mêmes, ils se font livrer sur internet et donc vous ne réglerez absolument pas le problème du trafic en banlieue, comme l'a laissé entendre le premier ministre.
C'est de l'hypocrisie, c'est de l'effet d'annonce. C'est en réalité une très vieille proposition qui traîne dans les cartons depuis une quinzaine d'années et qui était portée par certains syndicats policiers. Donc c'est donner des gages à certains syndicats policiers, mais ce n'est absolument pas une politique de santé publique.
Quelles pourraient être les conséquences de cette pénalisation accrue ?
On cible deux catégories de consommateurs avec cette amende forfaitaire : on cible les jeunes et on cible les gens qui sont dans la rue, puisque cette amende forfaitaire, elle ne peut pas être imposée à des personnes qui consommeraient à leur domicile. Et quand je dis les jeunes, on cible surtout les 18-25 ans parce que les mineurs ne seront pas concernés.
La question qu'on peut se poser, c'est est ce qu'on arrivera à faire payer l'amende à cette population ? Parce qu'actuellement, les amendes pour usage de stupéfiants ne sont recouvrées qu'à hauteur de 40%, c'est à dire que 60% des amendes prononcées actuellement ne sont pas payées. Alors autant dire que, quand on va aller sur un système forfaitaire sur des populations jeunes, il y a fort à penser que l'amende ne sera généralement pas payée.
Avons-nous des exemples, des retours de ce qu'ont pu donner à l'étranger des amendes forfaitaires pour les cas de consommation de stupéfiants ?
Alors non, on a plutôt les exemples inverses. Parce qu'actuellement, le mouvement, c'est plutôt un mouvement de dépénalisation ou de légalisation si vous regardez le Canada, si vous regardez le Portugal, si vous regardez une grande partie des États américains . On va vers une légalisation, c'est à dire un dispositif totalement opposé à celui proposé, où on va encadrer et contrôler au niveau de l'État la commercialisation des produits et la consommation des produits.
Vous êtes partisan de cette tendance à la dépénalisation. Quel impact une telle mesure pourrait avoir en termes de santé publique ?
On commence à avoir les retours sur les pays qui ont légalisé il y a quelques années comme l'Uruguay ou le Canada . Et les retours sont excellents ! La France cumule quand même l'une des plus fortes répressions des usagers de cannabis et l'un des plus forts taux de consommation en Europe.
C'est un échec patent si l'on compare avec le Canada ou l'Uruguay. La légalisation par l'État, elle ne règle pas tout. Mais elle a réduit considérablement certains effets . Et surtout n'a pas entraîné d'augmentation des consommations chez les jeunes. La légalisation permet de parler du produit, de ses risques, parce que le cannabis ce n'est pas anodin. C'est comme tous les produits, comme le tabac, comme tous les produits toxiques, ça a des conséquences qui peuvent être dangereuses.
Donc, légaliser, ça permet d'informer. Ça permet d'échanger et ça permet de discuter. La deuxième chose, c'est que ça permet aussi de contrôler la nature du produit. C'est à dire que l'État définit les qualités de produit qui sont commercialisés et vous pouvez avoir un suivi, un traçage des produits consommés, ce qui n'est absolument pas le cas actuellement où les gens peuvent consommer un peu n'importe quoi.
Vos réserves concernant cette disposition touchent également à des questions de libertés individuelles
En ce moment, il y a un certain nombre d'associations qui ont saisi le juge administratif, parce qu'associé à cette amende, il y a un fichage des usagers. Un fichage pendant dix ans, dans des conditions qui ne sont pas acceptées par la Cour européenne des Droits de l'Homme. Va se poser aussi la question de l'inscription des usagers dans les fichiers et de la compatibilité des dispositions qui ont été prises par le gouvernement à ce propos.
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