PHOTOS - Rivesaltes, l'histoire d'un camp, des barbelés au mémorial
Le mémorial de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) a été inauguré le 16 octobre 2015 par Manuel Valls. L'occasion de retracer, en témoignages et en photos, l'histoire de ce camp où ont été internés ou accueillis plus de 50 000 Espagnols, juifs, tsiganes ou harkis.

"C'est un cas unique en Europe, explique Agnès Sajaloli, directrice du mémorial de Rivesaltes, que Manuel Valls a inauguré le vendredi 16 octobre 2015. C'est le plus grand camp d'internement d'Europe de l'ouest, qui recouvre trois guerres : une guerre civile, une guerre mondiale et une guerre coloniale."
À partir de 1941, les 600 hectares du site militaire Joffre accueillent aux portes de Perpignan une dizaine de milliers de républicains espagnols fuyant la dictature de Franco. À la même époque, Rivesaltes sert de camp d'internement pour quelque 5.000 juifs (la moitié sera déportée en Allemagne) et des tsiganes, des collaborateurs ou des prisonniers de guerre.
Vingt ans plus tard, plus de 20.000 harkis y logeront au sortir de la guerre d'Algérie, avec d'autres rapatriés de la décolonisation, venus de Guinée ou d'Indochine notamment. En résumé, tous les "indésirables" du XXe siècle sont passés par Rivesaltes.
Le camp a été officiellement fermé à la fin des années 60. Mais dans la mémoire de ceux qui y ont vécu, la plaie est toujours ouverte.
David Korn, interné juif
David n'a que cinq ans lorsque sa mère et lui, tous deux juifs, sont internés à Rivesaltes. "La tramontane vous arrachait la tête, on se baladait avec des couvertures sur la tête", frissonne-t-il. "Et en été il faisait une chaleur à crever."
Il se souvient de sa première frayeur, en pleine nuit, en 1941 ou 1942 : "J’ai entendu des cris stridents. Une femme s’était fait attaquer par un rat. Je la vois encore, elle tirait la queue du rat qui lui bouffait le nez, elle était couverte de sang." Les conditions de vie au camp étaient "dégueulasses, y a pas d’autre mot".
Il se souvient aussi de la faim : "On recevait à peine à manger, juste assez pour ne pas crever." Quand les enfants allaient au réfectoire, David se rappelle qu'il cachait toujours un morceau de pain dans sa culotte pour sa mère. À la sortie, c'était fouille obligatoire, mais il réussissait toujours à se faufiler et à passer inaperçu grâce à sa petite taille. "Un jour un enfant de neuf ans s’est fait prendre. Il a reçu une paire de baffes et le gars a jeté le pain par terre. J'ai été vraiment choqué."
Antonio de la Fuente, réfugié espagnol
La famille De la Fuente a fui le franquisme au début des années 40. Quand il débarque avec sa mère et ses frères et sœurs à Rivesaltes, Antonio a une douzaine d'années. La vie au camp, il la résume ainsi : "Nous avons eu faim, nous avons eu froid et nous avons eu peur." Faim parce que la nourriture était inexistante, froid parce que les hivers étaient rudes et peur car ils étaient sans nouvelles de leurs père, oncle et frères.
Il se souvient des matinées d'étude avec sa sœur et des jeux avec ses camarades : "Comme tous les enfants du monde, qu’ils soient dans des camps ou ailleurs, on s’occupait en racontant des histoires ou en jouant à saute-mouton ou à cache-cache." Féru de jeux de billes, Antonio tente même d'en fabriquer avec de la terre glaise, "mais dès qu’on jouait avec, elles se cassaient. Après on a fabriqué un four dans lequel on faisait brûler quelques brindilles et on faisait cuire les billes. Elles résistaient un peu mieux."
Antonio a été marqué par les privations matérielles : "On trouvait pas un clou, même pas un bout de ficelle, rien." Et les privations de nourriture : "Normalement, nous avions droit à 300 à 400 grammes de pain, mais ce n’était pas la réalité : nous avions deux doigts de pain", se souvient-il.
Hacen Arfi, réfugié harki
Hacen est âgé d'à peine cinq ans quand il arrive avec ses parents dans les Pyrénées-Orientales. Il se souvient des tentes où s'entassent les familles. En novembre 1962, les harkis sont accueillis dans des tentes provisoires à Rivesaltes. Il faudra attendre le printemps 1963 pour que des baraques en dur soient aménagées. "À part le froid, rien n’avait changé. J’avais l’impression que nous étions toujours en Algérie, toujours en guerre."
Il se souvient d'images traumatisantes pour un petit garçon de son âge : des piqûres de vaccins, des enfants en larmes. Et surtout d'un drame familial : la mort d'un nourrisson, né quelques jours plus tôt dans la tente de ses parents : "Mon père nous a réveillé très tôt le matin. Il a pris une pioche, il a creusé un trou, nous avons enveloppé le bébé dans un linge, il a posé le bébé et nous avons remis la terre."
Hacen reconnaît être marqué à vie par l'année qu'il a passé à Rivesaltes. "Le récit de ces années pourrait nous faire croire à une autre époque, à un autre lieu", conclut-il. "Mais c’était en France, au XXe siècle. Dans le pays des droits de l’homme."
Marie-Thérèse, réfugiée guinéenne
A l'indépendance de la Guinée, Marie-Thérèse et son mari, ancien tirailleur, viennent en France_. "On ne pouvait plus revenir chez nous, où nous étions considérés comme des traîtres. On n’avait plus de patrie"_, confie-t-elle. "Ils nous ont dit qu’on serait mieux là, en France. Mais on ne s’attendait pas à ce qu’ils nous mettent dans des camps. On a rien compris."
À son arrivée à Rivesaltes en décembre 1964, Marie-Thérèse se souvient du froid. "C'était la première fois qu’on voyait la neige", raconte-t-elle. Au camp, il n'y a ni chauffage, ni eau, ni toilettes et des lits en fer sans matelas. "Il fallait qu’on se débrouille, même pour manger." Marie-Thérèse vit sa première grossesse dans des conditions pénibles : "Ma première fille est née ici dans le camp. J’ai failli la perdre."
Et puis un jour, c'est le grand ras-le-bol : "Nos maris se sont révoltés : ils ne supportaient plus de vivre dans des conditions comme ça avec leurs enfants et leurs femmes." Alors comme les militaires ne savent pas quoi faire de ces 800 réfugiés de l'ancienne armée d'Afrique, toujours hébergés dans le camp, "ils ont décidé de nous faire partir dans les quatre coins de la France". C'était en 1966.
Marie-Thérèse est revenue à Rivesaltes un demi-siècle plus tard. "Ça a réveillé des mauvais souvenirs... C'est important que les gens sachent qu’on a souffert ici, que nos enfants ont souffert, que nos maris ont souffert. On n’est pas prêts d’oublier ça."