L'enquête de Médiapart qui accable la direction du Refuge
Après l'enquête de Médiapart qui pointe de graves dysfonctionnements au sein du Refuge, ses dirigeants démentent. La Métropole de Montpellier, elle, suspend le versement de la subvention annuelle à cette association qui vient en aide aux jeunes LGBT mis à la porte de chez eux.

C'est un coup dur pour l'image du Refuge. Fondée à Montpellier en 2003 pour venir en aide aux jeunes LGBT, rejetés par leur famille, cette association devenue Fondation en octobre dernier, est l'objet d'une enquête accablante de Médiapart, publiée la semaine dernière. Article fleuve qui a déjà des conséquences : Michaël Delafosse a demandé vendredi 18 décembre au conseil de Métropole de sursoir au versement de la subvention prévue de 16.645 euros, "dans l'attente d'une clarification de gouvernance".
Les dysfonctionnements dont Médiapart fait état ont en effet de quoi inquiéter : charge de travail écrasante, management "toxique", défaillances dans la prise en charge des jeunes... En un an, une centaine de salariés et bénévoles auraient claqué la porte. Ce lundi la Fondation prépare sans aucun doute la riposte : pas de réaction officielle, mais elle annonce un communiqué de presse imminent.
"Management par la terreur"
Médiapart a recueilli en un an une cinquantaine de témoignages de salariés, bénévoles et jeunes qui ont quitté l'association "broyés, usés, humiliés". Ils évoquent des "conditions de travail très difficiles", "un fonctionnement monarchique", avec son lot d'"humiliations, pressions, insultes". "Ils nous pompent jusqu'à la moelle" dit une ancienne travailleuse sociale qui pointe notamment "le manque de moyens face à des situations de détresse".
Les missions du Refuge ne sont jamais remises en cause. C'est de la gouvernance qu'il s'agit. L'enquête vise notamment le couple Nicolas Noguier, Frédéric Gal. Le premier en est le président, le second le directeur, accusés d'étouffer toute voix discordante.
À ce titre, Médiapart rappelle ce jugement du Tribunal d'Avignon en novembre qui a condamné le Refuge à verser 1.000 euros de dommages et intérêts pour chacun des neuf bénévoles de la délégation du Vaucluse, exclus parce qu'ils refusaient de prendre partie contre un ancien délégué.
Suivi problématique des jeunes
"Ces dysfonctionnements posent la question du suivi des jeunes, qualifié de problématique voire dangereux", raconte Youen Tanguy, l'un des deux journalistes auteur de l'enquête. "Les salariés interrogés nous disent avoir alerté régulièrement la direction depuis huit ans. À chaque fois, ils disent se retrouver face à un mur, face à une direction qui refuse toute critique et qui préfère exclure les bénévoles qui s'opposent_._
En cause : le manque de personnel qualifié pour les accompagner, alors que le "refuge dit une ex salariée, a les moyens de professionnaliser la structure". Sur les 450 bénévoles, tous ne sont pas formés, certains pas du tout. Mais la direction refuse toute embauche ou mise en place de formations supplémentaire.
Le Refuge aurait pourtant les fonds nécessaires soulignent les deux journalistes. 3.3 millions d'euros de dons l'an dernier, avec un bilan positif de 800.000 euros et une trésorerie de deux millions.
Une salariée se dit gênée aussi par la gestion financière de l'association, avec un budget communication annuel de 230.000 euros l'an dernier, 52.000 euros pour les déplacements du président et des administrateurs. En 2019, seuls 47% des fonds ont servi à remplir la mission sociale du Refuge, dit Médiapart.
Des comportements inappropriés
Enfin l'article décrit longuement des comportements déplacés de la part de Nicolas Noguier et Frédéric Gal. Des câlins, des massages, des étreintes non souhaitées raconte Youen Tanguy. "Tous les délégués nous ont raconté que N. Noguier était très tactile avec les jeunes, qu'il les enlace.
À Montpellier au siège, les jeunes l'appellent 'papa'. Et le plus étonnant, c'est que lui ne trouve pas que ça pose question alors que la majorité des bénévoles et délégués eux étaient gênés et lui disaient. Certains étaient révulsés par ce comportement".
En réponse à Médiapart, les dirigeants disent regretter des "propos faits pour nuire au travail et à la réputation du Refuge". Nicolas Noguier notamment dément tout dysfonctionnement majeur et ne compte, lui, qu'une quinzaine de démissions cette année. Il annonce cependant qu'un audit interne sera réalisé par un cabinet indépendant.
Pas de réaction politique
Hormis le maire de Montpellier qui a réagi prudemment la semaine, le silence de la classe politique est assourdissant. "Sans doute parce que le Refuge est le seul à proposer un hébergement d'urgence à de jeunes LGBT, explique le journaliste. C'est le seul interlocuteur des pouvoirs publics sur cette question. Il y a une forme de prudence pour ne pas accabler trop vite cette association qui est financée depuis longtemps et qui a grossi en très peu de temps.
Et pour le silence en interne des bénévoles et salariés, c'est que c'est aussi parce que c'est une association essentielle. C'est difficile de dénoncer la gouvernance sans remettre en cause les missions de l'association. C'est aussi parce que Nicolas Noguier et Frédéric Gal ont installé un climat de peur pour que les gens ne parlent pas."