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Préfet de l'Hérault : "C'est un sacerdoce, on en oublie parfois ceux qu'on aime avec une forme d'égoïsme"
Hugues Moutouh, préfet de l'Hérault depuis juillet 2021, surnommé le préfet "Buldozer", se confie sur France Bleu Hérault. Son parcours, ses doutes, ses forces, ses souvenirs.

Tous les matins pendant les vacances de Noël, France Bleu Hérault donne la parole à des personnalités du département de l'Hérault sous un angle plus personnel, loin des sujets d'actualité. Une rencontre presque intime parfois qui permet de découvrir des hommes et des femmes avec leurs forces et leurs fragilités.
Hugues Moutouh, 54 ans, préfet de l'Hérault depuis le mois de juillet.
C'était quoi votre rêve de gosse ? Vous vouliez être pompier, vétérinaire, joueur de foot ? Quel petit garçon étiez-vous ?
Plutôt militaire. Quand j'étais petit, je souhaitais plutôt être soldat pour défendre mon pays.
Vous jouiez à la guerre ?
Oui aux petits soldats, j'avoue.
Et au bulldozer aussi ?
Non, pas trop. Je n'ai jamais été trop porté sur les sports mécaniques.
Parce que vous savez qu'on vous a surnommé ici "le préfet bulldozer", c'est quelque chose qui vous flatte ou qui vous dérange ?
Non, je n'y accorde pas trop d'importance. Je suis un fonceur. Je l'ai toujours été. Ça ne me gêne pas, mais je n'en tire absolument aucune vanité.
"J'étais prof agrégé de droit, mais j'ai eu rapidement envie de passer dans l'action pour prendre des décisions et les responsabilités qui vont avec."
Vous n'avez pas embrassé la carrière militaire, vous n'avez pas fait l'ENA non plus, vous étiez prof de droit. Qu'est-ce qui ne vous plaisait pas dans la carrière universitaire ?
Je fais partie des très rares professeurs d'université devenus préfets depuis le début de la Troisième République. Je crois que nous sommes cinq, dont un préfet bien connu, le préfet poubelle, qui a inventé les poubelles pour nettoyer les rues de Paris. J'ai beaucoup aimé ma période d'universitaire. J'aime lire, beaucoup lire. Je suis un grand lecteur. Je lis assez peu de romans. Je lis beaucoup d'essais historiques. Là, je suis en train de terminer un ouvrage sur l'histoire du directoire. C'est très pointu, je suis un helléniste latiniste. Je lis plutôt des ouvrages assez intellos.
Et j'aime beaucoup écrire. J'ai écrit plusieurs livres, des biographies, des manuels de droit, des ouvrages. Et puis, à un moment donné, assez rapidement en fait, j'ai eu envie de passer dans l'administration active. Je me considère comme un homme d'action, un administrateur et donc je m'épanouis beaucoup en prenant des décisions. Et la responsabilité qui va avec.
"J'aime les échanges avec les gens qui ne sont pas d'accord avec moi, je me nourris de ces confrontations."
Ça correspond plus à votre tempérament que d'être sur une estrade d'universitaire à enseigner à des étudiants ?
Oui même si j'aime beaucoup le contact avec la jeunesse, la pédagogie, les discussions, les débats. Je suis un homme d'idées, donc j'aime énormément échanger et j'aime la controverse. J'aime échanger avec des gens qui n'ont pas mon point de vue parce que ça me fait toujours réfléchir.
Et dans votre métier, c'est tous les jours que vous êtes confronté à des gens qui ne sont pas d'accord avec vous ?
Pas tous les jours, mais souvent. Et fort heureusement, je vous le dis vraiment, ça me permet de progresser. Je crois vraiment que l'on progresse tous les jours intellectuellement. J'essaye d'être le plus honnête possible avec mes propres idées, mais j'accueille les idées des autres avec beaucoup de générosité.
"J'essaye d'être le plus honnête possible avec mes propres idées, mais j'accueille les idées des autres avec beaucoup de générosité."
Non, vous n'êtes pas si bulldozer que ça ?
Non en effet. Vous savez, il y a toujours plusieurs personnages au sein de la même personne.
Vous avez travaillé dans différents ministères : la Justice, la Recherche, l'Emploi, les Sports. Vous avez travaillé notamment sur le dossier du foot professionnel, vous jouez au foot ?
Pas du tout. Mais c'est vrai que j'ai été directeur de cabinet du ministre des Sports et l'un des gros sujets qu'on avait à gérer à l'époque, c'était les droits audiovisuels. La question du foot professionnel est une discipline assez intéressante du point de vue économique, du point de vue sportif. C'est vraiment très complet.
J'ai même présidé à la Ligue une commission sur les passeports sportifs et j'ai été président de la holding d'un club de foot à Valenciennes et pourtant, je préfère de loin le rugby. Mais il fallait quand même veiller sur les destinées de ce club dans la mesure où mon actionnaire avait investi beaucoup d'argent, sachant qu'on n'investit jamais de l'argent dans le foot pour en gagner. Si c'est vraiment parce que qu'on aime le spectacle sportif. Et puis c'est aussi une sorte de mécénat. C'est plutôt un puits sans fond de mettre de l'argent dans un club de sport.
"J'aime faire du sport, j'ai fait du tennis, du rugby et du karaté. Aujourd'hui j'ai ma petite salle de sport à la préfecture pour me maintenir en forme."
Vous avez dit que vous étiez plutôt rugby. Vous êtes allé voir des matchs du MHR ?
Oui, oui. J'ai été voir un match de rugby. J'aime aussi le hand. J'ai pratiqué beaucoup le rugby, j'ai même joué beaucoup au tennis, fait beaucoup de compétitions étant plus jeune, j'ai fait du karaté aussi, donc j'aime le sport, je suis sportif et j'aime le sport.
Aujourd'hui, vous avez le temps de pratiquer un sport ?
Oui j'essaye de faire une à deux fois par semaine un peu de sport. Je me suis aménagé une pièce à la préfecture. J'ai un sac de frappe, quelques haltères et j'essaye de faire un peu de gym, de pompes tractions. Des choses comme ça, je m'entretiens, un peu comme tout le monde.
J'ai entendu dire qu'on vous avait récemment offert des gants de boxe ?
Absolument. Un artiste célèbre m'a offert une paire de gants peints, personnalisés, un magnifique cadeau qui est encadré dans une vitrine dans mon bureau.
"Il faut savoir prendre des coups et encaisser la colère des gens."
Mais vous aimeriez boxer contre qui aujourd'hui, monsieur le préfet ?
Je ne boxe contre personne, mais la boxe est une discipline noble. C'est une discipline qui prouve votre détermination, votre endurance, votre courage et le courage aussi d'accepter de prendre des coups.
Et vous en prenez souvent ?
Bien sûr. Très franchement, je pense que dans ce métier, il faut savoir encaisser. C'est important parce qu'on prend aussi la colère des gens et parce que les décisions qui sont prises dans l'intérêt général viennent contrarier parfois les intérêts particuliers.
"Ne pas avoir fait l'ENA me permet d'avoir une approche différente des dossiers, une approche plus en profondeur."
On l'a dit, vous n'avez pas fait l'ENA. Vous n'avez pas un parcours classique de préfet. Vous en faites une fierté ou un complexe ?
Le concours d'agrégation de droit, c'est un concours extrêmement difficile. On est une vingtaine tous les deux ans à être agrégés seulement. Donc c'est plutôt une fierté. Je pense que ça me permet d'avoir une approche peut-être un peu différente. J'ai l'impression que ma culture universitaire me donne beaucoup de verticalité dans la connaissance, le savoir. J'aime aller au fond. J'aime lire beaucoup les notes. J'aime comprendre à fond les sujets et ne pas m'en tenir à l'écume des dossiers. Donc je pense que les universitaires ont toute leur place. D'ailleurs, il n'y a qu'en France où il y a très peu d'universitaires dans la sphère publique.
"Les attentats de 2012 m'ont profondément marqués, j'ai été confronté directement au mal."
Vous avez été préfet dans plusieurs départements. Vous avez été aussi dans différents ministères, notamment sous Sarkozy. Vous avez traité les attentats de 2012, c'est-à-dire Mohamed Merah à Toulouse et Montauban. Comment on ressort de ça ? Est-ce que ce sont des dossiers qui vous ont marqué ?
Ça marque énormément parce qu'on est confronté à des tragédies. C'était le retour du terrorisme dans notre pays en 2012, quelques semaines avant le premier tour de l'élection présidentielle. C'est très marquant. Ça permet également de prouver et d'éprouver ses proches. J'avais la chance de travailler avec des amis à la direction de la police, la police judiciaire, aux services de renseignement et de mener finalement cette enquête sur un rythme effréné.
Un peu comme un commando, c'était un jeu contre la montre pour découvrir l'auteur de ces attentats atroces et le neutraliser. Alors oui, on en sort abîmé, forcément, et enrichi d'une très grande expérience et et de la conscience du mal. Voilà. Je pense que c'est peut-être un peu rétro de dire ça, mais on est confronté au mal, c'est-à-dire à des gens qui éprouvent du plaisir en tuant, et en tuant parfois des personnes, de jeunes enfants, des personnes très vulnérables.
Je pense qu'on prend conscience assez tôt du fait qu'il y a le bien et le mal. Puis, il y a une zone grise entre les deux. Naturellement. Mais j'ai été là directement confronté à ce mal. En 2012, je pense que c'est marquant. Et quand on a vécu et quand on a participé activement à cette lutte contre contre le terrorisme, on est forcément changé.
"Être préfet, c'est parfois renoncer à sa sphère privée, mais je me pose beaucoup de questions sur ce qu'on fait de notre temps, du peu de temps dont on dispose pour les gens qu'on aime."
Vous avez été marié, vous êtes aujourd'hui divorcé. Est-ce que cette obligation de mobilité qui est imposée aux préfets de changer tous les deux ou trois ans est une difficulté dans la vie conjugale ? Est-ce que c'est une contrainte très importante pour vous ? Comment vous vivez tout ça ?
Quand on est au service de l'État, à un certain niveau de responsabilité, c'est du 24/24. En fait, on vit avec tous les problèmes et donc du coup, on n'est pas tellement disponible pour sa sphère privée. Alors, j'ai refait ma vie, je vis avec quelqu'un qui m'accompagne depuis quelques années. Donc aujourd'hui, j'espère avoir trouvé un meilleur équilibre. Mais ce n'est pas simple.
C'est pas simple parce qu'on est un peu des moines soldats dans la haute fonction publique et on se consacre pleinement et totalement à son métier. Mais c'est vrai que c'est une charge. Et parfois, ça peut bien évidemment avoir des répercussions immédiates sur votre entourage proche.
Ça fait partie de vos regrets de ne pas avoir anticipé ça ?
Non, non, parce que parce que je pense que il faut savoir se livrer entièrement à ce qu'on fait et ce qu'on aime faire, mais c'est vrai qu'il y a une part de d'égoïsme. C'est aussi une sorte de sacerdoce. Je suis un lecteur de Sénèque.
Et quand je prends un peu de distance, il y a beaucoup de sujets qui m'interpellent. Ce qu'on fait de notre temps ? Le peu de temps dont on dispose pour les gens que l'on aime vraiment. Oui, ça fait partie de mes réflexions.
"Les agriculteurs sont des gens authentiques, rudes, ce sont des gens de paroles, j'en ai fait parfois de vrais amis."
Quel est votre plus beau souvenir de préfet ?
C'est sans doute aux côtés des agriculteurs, moi qui suis un pur produit de l'urbanité. Né à Paris, ayant vécu très longtemps à Paris. Mais je suis un urbain et j'ai découvert la ruralité lors de mon premier poste en Creuse. J'ai découvert un univers que je ne connaissais pas.
C'est quoi qui vous a séduit ?
L'authenticité. Ce caractère totalement entier. Mes premiers contacts ont été avec les éleveurs bovins en Creuse. Ce sont des gens authentiques, ce sont des gens rudes, ce sont des gens de parole. Et puis, c'est des moments de grand bonheur et j'ai conservé de mes différents postes, des relations d'amitié, de vraies amitiés avec des amis agriculteurs.
"Un préfet est là pour affronter les crises, c'est là qu'on est le plus utile même si 'gouverner c'est contraindre'."
Et votre pire souvenir ?
Je n'ai pas de mauvais souvenir. On traverse des moments qui ne sont pas simples, mais la crise n'est pas un moment affreux pour un préfet. Mon essence, en tant que préfet, c'est d'être là au moment où tout peut s'effondrer et de rester debout avec mes collaborateurs, avec les fonctionnaires de la préfecture. Nous, on est là, on est là à 3 heures du matin pour distribuer les vivres. On est là pour affronter la crise. Les crises, quelles qu'elles soient, ne sont pas les pires moments dans la vie d'un préfet. C'est une sorte d'accomplissement et c'est là où on peut être le plus utile.
Et je dois dire qu'il est plus dur aujourd'hui qu'hier de faire triompher l'intérêt général. Moi, il y a une phrase de Georges Pompidou si vous me permettez, il dit "Gouverner, c'est contraindre". Ce n'est pas que contraindre, mais gouverner, c'est contraindre. C'est contraindre les gens qui défendent leurs petits intérêts particuliers à rejoindre l'intérêt général. Et je pense qu'on a oublié tout ça aujourd'hui.
Qu'est-ce qui vous touche ? Qu'est-ce qui peut vous faire monter les larmes aux yeux ?
L'art, la musique, la peinture, oui. L'Opéra, la Tosca. C'est quelque chose qui, pour moi, m'émeut énormément. La littérature, on s'évade pendant 20 minutes, une heure, en fonction du temps que l'on a.
"Noël, c'est un moment de convivialité, mais aussi de sociabilité, comme l'épouillage chez les chimpanzés, c'est le témoignage du besoin de l'autre, de son amour."
Alors, on approche de Noël, monsieur le préfet. C'est une période que vous aimez bien. Qu'est-ce que vous allez avoir au pied du sapin chez vous ?
Sans doute des livres. C'est un moment où tout s'arrête. On prend le temps qu'on ne donne jamais aux autres. Pour sa famille, pour ses parents, pour ses proches, c'est un moment que j'apprécie. Dans mon appartement, il y a un sapin et je prends du plaisir à acheter des boules et des guirlandes et à décorer mon sapin de Noël, tout simplement. C'est un moment très important. On donne pas pour recevoir, mais en fait, on donne et on reçoit. Et la société est basée sur le don et le contre don.
C'est un moment de sociabilité. Ce n'est pas que de la convivialité. C'est comme l'épouillages chez les chimpanzés, si vous voulez. C'est le témoignage du besoin de l'autre, de son estime, de son amour et on reçoit en contrepartie ce même témoignage d'estime, d'amour dont on a besoin pour continuer notre route.
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