TEMOIGNAGE - Déprogrammés, les oubliés du Covid
Près de 80% de déprogrammations en Ile-de-France, près de 70% au CHU de Rouen et derrière ces déprogrammations, il y a les "déprogrammés" qui ne savent pas comment crier leur souffrance.
Il y a pour tous les difficultés liées aux confinements successifs et pour les "déprogrammés" une vie volée ou menacée selon les cas. Plusieurs cancérologues se sont inquiétés déjà du retard pris dans les diagnostics de cancer et, aujourd'hui, une famille de l'Eure témoigne de la détresse de sa vie de "déprogrammés".
"Derrière toutes ces déprogrammations, il y a des gens, il y a des vies et de grandes souffrances", c'est le message que Sylvie Courvalet-Jouette veut faire passer. Elle parle pour son mari qui peine à s'exprimer. Sa mâchoire est en partie détruite suite à un cancer de la base de la langue et à des séances de chimiothérapie et radiothérapie très lourdes.
Une opération lourde déprogrammée deux fois déjà
Le cancer a débuté en 2010, "sa mâchoire est devenue une éponge" explique Sylvie. En 2018, Gérard subit une première greffe sur la moitié de la mâchoire. La seconde est programmée en octobre 2020 mais annulée en raison du deuxième confinement. Une deuxième date est alors fixée, le jeudi 11 mars, mais la veille, en fin de journée, le CHU d'Amiens appelle, l'opération est à nouveau reportée à cause du 3e confinement cette fois.
Ce n'est peut-être pas vital, mais expliquez-moi comment on peut vivre comme ça"
"Cette fois, j'ai craqué", confie Sylvie. Certes, l'opération n'est pas vitale - c'est comme ça que s'explique la déprogrammation - mais le quotidien est une torture. Gérard souffre en permanence, il a du mal à respirer, à déglutir, à parler et se nourrit exclusivement de liquide. Il pèse aujourd'hui 63 kgs pour 1m82. "il n'a pas mangé un steak depuis deux ans et on ne parle plus que de nourriture à la télévision. Je n'ose plus me faire à manger à cause des odeurs. Rester avec une mâchoire fracturée, moi je voudrais bien qu'on m'explique où est le plaisir de la vie" raconte Sylvie.
Un sentiment d'abandon et des craintes pour l'avenir
Derrière la détresse, on sent poindre de la colère. Aucune prise en charge psychologique, aucun accompagnement. "On n'a jamais demandé comment on allait" regrette Sylvie. Et il y a toutes les questions pour l'avenir. L'état de santé de Gérard se dégrade, sa mâchoire continue de s'abîmer et le couple craint aujourd'hui qu'on finisse par lui dire qu'il n'y a plus rien à faire.
Tous ces déprogrammés, ce sont des bombes à retardement"
Si Sylvie et Gérard témoignent aujourd'hui, c'est qu'ils veulent briser le silence. Ils sont persuadés qu'ils sont nombreux dans leur cas et pourtant "on n'en entend pas parler à la télévision, aucun politique n'y fait allusion" déplore Sylvie.
Elle a écrit au ministre de la santé Olivier Véran et à son député. Elle espère ne pas avoir à aller jusqu'à une grève de la faim devant le ministère pour enfin être entendue.
Elle conclut "tous ces déprogrammés ce sont des bombes à retardement. Aujourd'hui on parle des morts du covid mais dans quelques années, on parlera de quels morts ?"
Allez plus loin, écoutez le témoignage !
Déprogrammés, les oubliés du covid